Le chat (Jacques Sternberg)
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Les Chats
Au commencement, Dieu créa le chat à son image.
Et bien entendu, il trouva que c’était bien. Et c’était bien, d’ailleurs.
Du moins sur le plan de l’esthétisme.
Mais le chat ne voulait rien faire, n’avait rien envie de faire.
Il était paresseux, renfermé, taciturne, économe de ses gestes et, de plus,
extrêmement buté.
C’est alors que Dieu eut l’idée de créer l’homme.
Uniquement dans le but de servir le chat, de lui servir d’esclave
jusqu’à la fin des temps.
Au chat, il avait donné l’indolence, la sagesse, la lucidité,
l’art de faire son temps le plus agréablement possible
en s’économisant le plus possible. A l’homme, il inocula la névrose
de l’agitation, la passion du travail même le plus ingrat,
l’ambition qui allait le pousser à édifier toute une civilisation
fondée sur l’invention et la production, la concurrence
et la consommation. Civilisation fort tapageuse, emphatique,
pléthorique qui n’avait en réalité qu’un seul but secret :
offrir au chat le minimum qu’il exigeait,
soit le confort, le gîte et le couvert.
C’est dire que l’homme inventa des milliers d’objets
bien souvent absurdes, assez vains, tout cela pour produire parallèlement
les quelques éléments indispensables au bien-être du chat :
le coussin, le radiateur, le bol, des centaines de variantes
de préparer la viande, le plat de sciure, le tapis ou la moquette,
le panier d’osier, le pêcheur breton et le vétérinaire,
peut-être aussi la radio puisque les chats aiment bien la musique.
Mais, de tout cela, les hommes ne savent rien. Tout est donc pour le mieux
dans le meilleur monde du chat.
Jacques Sternberg
“Dieu, moi et les autres”